«Le plus gros problème en matière de rayonnement ne provient pas des antennes 5G »

Ceux qui critiquent la 5G devraient plutôt parler des téléphones portables, selon le professeur d’épidémiologie environnementale Martin Röösli. Un entretien sur ce qui nous nuit réellement.

Auteur/trice: Roman Rey, Higgs

Ce qu’il faut savoir

  • Martin Röösli, de l’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse étudie les risques liés aux radiations depuis plus de 20 ans.
  • Il plaide pour que l’on se concentre moins sur la technologie et plus sur l’homme en tant que responsable.
  • Car chaque nouvelle génération de norme concernant la téléphonie mobile représente un progrès en termes d’exposition aux rayonnements.
Monsieur Röösli, la 5G a suscité un énorme débat. Pour que nous soyons tous sur la même longueur d’onde sur le plan technique : En quoi la 5G est-elle novatrice ?

La 5G est un nouveau langage permettant de traduire l’information en ondes, qui est plus efficace que ses prédécesseurs. Une partie des fréquences utilisées dans ce cadre sont nouvelles. Mais ce sont les nouvelles antennes dites « adaptatives » qui sont actuellement les plus sujettes à débat. Elles ne diffusent pas leurs signaux aussi largement que les antennes utilisées jusqu’à présent. Elles le font de manière plus ciblée, là où les données sont utilisées.

C’est précisément ce qui pose problème aux détracteurs. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Au moment où une personne veut échanger beaucoup de données, l’antenne réagit et l’exposition au rayonnement augmente brièvement. De nombreuses antennes se situent par exemple le long des voies ferrées. Lors du passage d’un train, dans lequel les utilisateurs de téléphonie mobile sont très nombreux, l’antenne émet un rayonnement très puissant. Et comme le rayonnement émis est très large, la moitié du village se retrouve elle aussi exposée. Cela ne se produit plus avec les antennes adaptatives : elles ne diffuseraient leurs rayonnements que sur les voies dans un angle d’environ dix degrés. De ce fait, là où personne ne communique, il n’y a pratiquement aucun rayonnement.

Certains affirment toutefois qu’il n’est pas possible de mesurer correctement l’impact environnemental des nouvelles antennes : la méthode de mesure courante ne serait pas adaptée aux antennes adaptatives.

Il est possible de mesurer, à tout moment et sans problème, la quantité de rayonnement qui se trouve à un endroit donné. Ce qui est critiqué, ce sont les méthodes de mesure utilisées pour fixer les valeurs limites actuellement en vigueur : celles-ci sont conçues de telle sorte que le rayonnement maximal d’une antenne ne doit pas dépasser une certaine valeur. Mais comme les nouvelles antennes sont extrêmement dynamiques, le calcul de projection est plus difficile à effectuer. La discussion sur la méthode ne porte donc que sur la manière d’estimer la quantité de rayonnement mesurée par une antenne dans le pire scénario.

Dans les zones où se trouve beaucoup de monde, où il y a beaucoup de communication, le rayonnement est à son niveau le plus élevé.

Martin Röösli

Et comment fait-on cela ?

Il existe différentes méthodes. L’une des possibilités consiste à attirer toute la puissance de l’antenne à un point précis en téléchargeant le plus de données possible. Bien entendu, cela n’est possible que tant que peu de personnes utilisent la 5G. Une autre possibilité consiste à utiliser le canal de signalisation de l’antenne : L’antenne émet ainsi constamment un peu dans toutes les directions pour rechercher des appareils. Sur la base de ce signal, il est possible de calculer ce que pourrait être le rayonnement maximal.

De votre point de vue de professeur en épidémiologie environnementale, la nouvelle antenne est-elle plus nocive ?

En principe, le rayonnement est aussi nocif ou inoffensif que celui qui existait jusqu’à présent. Ce qui est finalement déterminant pour moi, c’est la quantité de rayonnement effectivement présente. Et pour l’instant, les valeurs limites sont fixées de telle sorte qu’aucun seuil critique ne devrait être dépassé.

Nous parlons des antennes quatre-vingt-dix pour cent du temps, mais si nous voulions parler de l’exposition aux rayonnements, nous devrions parler des téléphones portables quatre-vingt-dix pour cent du temps.

Martin Röösli

Le Conseil national et le Conseil des États ne veulent pas augmenter les valeurs limites des installations. Mais le Conseil fédéral a introduit une astuce mathématique dans la fixation de ces valeurs limites. De nombreux détracteurs se sentent trahis. De quelle manière considérez-vous cette démarche politique ?

Je ne pense pas que ce soit une astuce. Pour moi, l’important est de ne pas comparer des pommes avec des poires. Si l’on a une valeur limite de bruit pour 24 heures, cela ne signifie pas non pour autant qu’aucun bruit ne doit jamais dépasser cette valeur limite. Cela veut dire que la valeur doit être respectée sur une moyenne de 24 heures. Jusqu’à la 4G, une antenne émettait un rayonnement relativement fort dans toutes les directions. Le rayonnement de la téléphonie mobile nécessite un certain temps avant qu’un effet biologique ne se produise, tout comme il faut un certain temps pour que le rayonnement UV provoque un coup de soleil. Il suffit donc de s’assurer que la quantité totale de rayonnement est respectée sur un laps de temps de six minutes. Pour la 4G, faire une moyenne n’était pas nécessaire, car une antenne rayonnait relativement fort dans toutes les directions. Pour la 5G, cette moyenne devient cohérente, et je ne vois pas d’astuce ici. On pourrait bien évidemment fixer une valeur limite de rayonnement plus basse par antenne. Mais il faudrait alors construire beaucoup plus d’antennes.

Au cours des vingt dernières années, vous avez mené de nombreuses recherches sur les rayonnements électromagnétiques. Vous avez notamment équipé un grand nombre de personnes d’appareils mesurant les rayonnements. Qu’avez-vous découvert ?

Dans les zones où se trouve beaucoup de monde, où il y a beaucoup de communication, le rayonnement est à son niveau le plus élevé. Particulièrement dans les trains. Dans un train, même les téléphones portables qui ne sont pas utilisés sont constamment en contact avec de nouvelles antennes, ce qui provoque beaucoup de rayonnements. À la maison, l’exposition est relativement faible parce que peu d’appareils sont utilisés et qu’une grande partie du rayonnement est bloquée par les murs.

On entend régulièrement des personnes dire qu’elles ne peuvent plus dormir depuis qu’une antenne a été construite juste sous leur nez. Mais pour une personne sensible aux rayonnements, les effets ne devraient-ils pas surtout être ressentis dans les transports publics ?

En fait, la principale exposition n’est pas provoquée par le rayonnement ambiant, mais par les appareils que l’on possède. Un smartphone que l’on met en contact direct avec la tête expose localement à jusqu’à mille fois plus de rayonnements qu’une antenne ne pourrait jamais le faire. Nous parlons des antennes quatre-vingt-dix pour cent du temps, mais si nous voulions parler de l’exposition aux rayonnements, nous devrions parler des téléphones portables quatre-vingt-dix pour cent du temps.

Comment expliquer que les gens se concentrent sur les antennes ?

D’une part, on n’a aucun contrôle sur l’antenne, on l’a malgré soi à proximité, et elle est très visible. D’autre part, je pense que beaucoup de gens ne sont pas conscients de l’aspect dynamique de réaction d’un téléphone portable. Si l’on pouvait voir le rayonnement, on se rendrait compte qu’en téléphonant avec une très mauvaise réception l’appareil émet cent mille fois plus de rayonnement que si une antenne se trouvait juste à côté.

Cent mille fois ?

Selon le réseau et l’utilisation des données. Lors d’une conversation téléphonique normale avec un réseau 3G, par exemple, l’intensité du rayonnement varie même d’un million de fois en fonction de la qualité de la connexion. Pourtant, la 3G était une technologie très efficace en termes d’exposition aux rayonnements. Déjà à l’époque, nous avions les mêmes discussions que celles que nous avons aujourd’hui : Lors du passage de la 2G à la 3G, beaucoup de gens disaient que la 3G était nocive. Mais les scientifiques ont su très tôt que les téléphones portables émettaient beaucoup moins de rayonnements grâce à la nouvelle norme. J’ai moi aussi préconisé le passage de la 2G à la 3G. Avec la 2G, les signaux étaient si puissants que lorsque l’on posait son portable à côté de la radio, celle-ci bourdonnait juste avant la réception d’un message. En fait, il faut admettre que chaque génération a plutôt constitué un progrès du point de vue de l’exposition aux rayonnements. Mais cela est bien sûr au moins compensé, voire surcompensé, par l’augmentation de l’utilisation.

A chaque changement de génération, de nouveaux contre-arguments sont avancés. De la 3G à la 4G, on disait que les rayonnements pulsés étaient problématiques. Maintenant, ce sont les antennes adaptatives. Comment expliquez-vous le fait que les anciens arguments ne soient plus en vogue, pendant que de nouveaux arguments semblent prendre plus d’importance ?

Je pense que l’être humain se focalise sur ce qui est nouveau et inconnu, et qui pourrait potentiellement devenir un problème. Porter un regard critique sur quelque chose est une bonne chose en soi. Mais dans toute cette discussion, il serait important de se concentrer moins sur la technologie et plus sur les responsables. Et les responsables, ce sont les gens. Avec la 5G notamment, une antenne n’émet pratiquement pas de rayonnement lorsqu’elle n’est pas utilisée. Au final, la manière dont on répartit le rayonnement sur les antennes est secondaire. La société devrait en fait bien plus réfléchir à la quantité de données mobiles qu’elle souhaite utiliser.

On vous a également reproché d’ignorer le rapport du Groupe consultatif d’experts en matière de rayonnements non ionisants (Berenis), auquel vous avez vous-même collaboré. Il y est dit que le rayonnement peut déclencher un stress oxydatif au niveau des cellules. Vous avez certes soutenu cela dans le rapport, mais pas en public.

Il est important de faire la distinction entre les effets nocifs pour la santé et les effets biologiques. Il est en fait possible de prouver deux différents effets avec le rayonnement de la téléphonie mobile, mais uniquement avec un téléphone portable que l’on tient près de la tête, et non avec les antennes. D’une part les ondes cérébrales se modifient, d’autre part, il y a justement ce stress oxydatif. Dans le langage courant, le stress a déjà une connotation négative. Mais biologiquement, il ne l’est pas forcément. Le stress oxydatif se produit également lorsque l’on fait du sport ou que l’on se rend dans un sauna, ou même simplement lorsque l’on respire. Si nous ne stressions pas notre cerveau ou nos muscles, nous dégénérerions en très peu de temps. Le stress oxydatif peut donc avoir des significations très différentes, et il n’est pas prouvé qu’il puisse devenir un problème à long terme.

Dans les études menées auprès des jeunes, vous avez vous-même constaté qu’une partie du cerveau souffrait de l’utilisation du téléphone portable.

Nous avons observé, chez des jeunes entre la septième et la neuvième année scolaire, la manière dont la mémoire et les fonctions cognitives et verbales se développaient sur une année, et nous avons vu un certain lien. Mais je ne dirais pas que c’est une preuve. Nous avons examiné différents symptômes, effectué différents tests et observé les rayonnements des téléphones portables, du WLAN et des téléphones sans fil. Si l’on associe vingt facteurs différents, le résultat pourrait être une simple coïncidence. Il était toutefois intéressant de constater que les jeunes ayant reçu une dose cérébrale plus élevée se développaient moins bien lors de l’un des tests cognitifs.

Est-ce dû aux radiations ou à la manière dont les appareils sont utilisés ?

Nous avons distingué l’exposition aux rayonnements et l’utilisation. Nous savions par exemple si les personnes téléphonaient en utilisant la 2G ou bien la 3G. Avec la 3G, l’exposition aux rayonnements est plus faible qu’avec la 2G. Nous avons également réalisé cette étude en Suisse centrale, ou le réseau n’était à l’époque pas encore très développé. Nous avons constaté que le lien le plus fort était la dose de rayonnement au niveau du cerveau, mais pas avec d’autres activités telles que le jeu ou la rédaction de messages, qui n’impliquent pratiquement pas de rayonnement pour le cerveau. Il faut absolument que cela soit confirmé par d’autres études.

Vous avez commencé à étudier les rayonnements de la téléphonie mobile en 2001, car vous pensiez qu’on en savait trop peu pour introduire une telle technologie. Vous étiez alors partisan de la prudence. Aujourd’hui, vous avez quelque peu relativisé votre rapport au rayonnement.

On peut dire ça comme ça. Le débat sur la mort des forêts dans les années 1980 m’a beaucoup marqué. M’engager pour l’environnement était une évidence dans ma vie. Les rayonnements m’ont fasciné parce qu’ils sont invisibles. J’ai également ressenti un certain malaise, comme tout le monde probablement : On a beau être rationnel, quand une antenne est érigée à côté de chez soi, on réfléchit à tout cela. Les phénomènes que l’on ne voit pas ont toujours été une thématique fascinante pour moi.

Plusieurs journaux affirment que vous avez été acheté et que vous êtes au service de l’industrie de la téléphonie mobile. Vous avez par exemple siégé au conseil de la Fondation pour la recherche sur l’électricité et la communication mobile, qui reçoit entre autres des subventions des opérateurs de télécommunications. Comment pouvez-vous conserver votre indépendance ?

C’est une question importante. Mes recherches ne sont financées que par des fonds publics ou des fondations d’utilité publique. J’étais dans cette fondation pour la recherche, parce que je pense que les exploitants de réseaux doivent aussi contribuer à la recherche sur la sécurité. Ce sont les responsables qui devraient financer cela, et non les contribuables. Mais un tel modèle ne peut fonctionner que si des chercheurs indépendants s’interposent, afin que les exploitants ne puissent pas décider eux-mêmes de qui doit être financé.

Ce serait comme si le lobby du pétrole finançait la recherche sur le climat.

Si on le faisait dans le cadre d’un fonds ingénieux, ce serait également possible. En France, par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile paient une petite taxe supplémentaire destinée à un fonds de recherche géré par l’autorité environnementale. Ce serait une autre possibilité. L’important est simplement que l’on fasse cela de manière sérieuse et indépendante.

Il y a un peu plus d’un an, 22 chercheurs étrangers ont écrit au Conseil fédéral pour lui demander de vous retirer de tous les comités. Quel en a été le résultat ?

Le Conseil fédéral a répondu. Cette demande n’avait ni queue ni tête. Nous pourrions passer une soirée à parler de ces 22 personnes. Comme dans toute science, il y a des chercheurs sérieux, et il y a les autres. À chaque critique, il faut d’abord se demander d’où elle vient et pourquoi. Les critiques en disent toujours très long sur les détracteurs : dans le cas présent, il s’agit surtout de personnes qui font elles-mêmes du profit grâce à la peur des rayonnements. On le voit aussi dans le monde politique : La personne qui a le plus parlé de fake news est celle qui en a le plus diffusé.

Comment réagissez-vous à ces critiques acerbes ?

On se demande ce que l’on peut faire pour les contrer. Mais à un moment donné, il faut accepter que les critiques existeront toujours. J’en ai tiré les conséquences, et j’ai considéré qu’il était important de montrer le type de recherche que je fais. J’ai également décidé de m’inscrire sur Twitter pour montrer ce que je fais. J’ai constaté que beaucoup de gens se font beaucoup d’idées totalement fausses sur moi. Par exemple, ils pensent que je conduis une Lamborghini. Alors que je n’ai même pas de voiture.

M’engager pour l’environnement était une évidence dans ma vie.

Martin Röösli

Sur le plan social et politique, le scepticisme à l’égard de la 5G reste présent, quelle que soit la base de la critique. Comment considérez-vous cela ?

L’une des raisons principales est très certainement la couverture médiatique. Dans le meilleur des cas, le thème de la 5G est présenté en donnant la parole à une personne issue du monde de la recherche et à une autre issue de l’opposition ou à une personne concernée. Cela suggère un équilibre, qui laisse entendre qu’il s’agit d’un sujet controversé. Rares sont les articles qui s’intéressent au discours scientifique, à l’instar de la couverture médiatique sur la Covid par exemple. C’est toujours la science contre quelque chose d’autre. A la RTS par exemple, la personne la plus citée en 2021 concernant les antennes adaptatives était une horlogère. Cela a une influence sur la perception du public.

L’étude « Mobi-Kids » a été publiée à la fin de l’année dernière. Elle n’a pas trouvé d’augmentation du risque de tumeurs cérébrales chez les enfants et adolescents en raison du rayonnement de la téléphonie mobile. Presque personne n’en a parlé. Pourquoi ?

C’est tout à fait classique. C’est certes une bonne nouvelle, mais pour beaucoup de médias, ce n’est pas une nouvelle intéressante. Si l’étude avait découvert ne serait-ce qu’un risque accru, cela se serait retrouvé à la une de tous les médias du monde. Mais hormis dans le Tagesanzeiger, l’étude n’était mentionnée pratiquement nulle part.

En 2020, vous avez publié une étude sur le bruit. Vous y constatez que cinq cents des vingt mille décès annuels dus aux maladies cardio-vasculaires en Suisse sont imputables au bruit. Où sont les pétitions et les moratoires contre le bruit, à l’image de ceux contre la 5G?

Les projets qui génèrent du bruit rencontrent eux aussi une résistance à l’échelle locale. En ce sens, c’est comparable à la 5G. Mais le bruit n’est pas un sujet très médiatisé et la pression est donc faible.

Quels sont les facteurs environnementaux que vous considérez comme les plus nocifs ?

A l’heure actuelle, le problème le plus important est la pollution de l’air. Mais de grands progrès ont été faits au cours des vingt dernières années, la pollution a énormément baissé en Suisse. C’est une véritable réussite. Les conditions environnementales se sont également améliorées dans de nombreux autres domaines.

Vous vous occupez constamment de choses nocives. Qu’est-ce que cela vous fait ?

On me demande souvent si je ne vis pas en permanence dans la peur. Mais chez moi, l’effet est plutôt inverse. Je constate que les risques sont faibles d’un point de vue individuel. Cinq cents décès dus aux maladies cardio-vasculaires, par exemple, c’est beaucoup pour la société, et c’est donc un problème important. Mais pour une personne individuelle, ce n’est pas un gros risque.

Cet article a été publié pour la première fois sur higgs.ch.